IX
OÙ IL S’EN FAUT DE PEU

Bolitho sentit que quelqu’un lui touchait le bras et essaya de ne pas grogner en sentant l’engourdissement qui gagnait autour de sa blessure. Avait-il vraiment dormi ? Oui, et cela le mit immédiatement en alerte.

— Eh bien, que se passe-t-il ?

Le lieutenant de vaisseau Mountsteven le regardait d’un air bizarre, comme s’il n’arrivait pas à croire qu’il partageait ce misérable ravin avec un vice-amiral.

— L’aube se lève, amiral. J’ai réveillé les hommes.

Bolitho s’assit, se frotta les yeux. Ils se sentaient sales, fatigués. Il remarqua pour la première fois que le vent était tombé.

À y repenser, tout cela paraissait irréel, cela ressemblait à une hallucination. Il jeta un coup d’œil par-dessus la ligne de crête et aperçut une vague langue d’eau. Il s’attendait à voir l’Achate forcer l’entrée, voiles bordées à se rompre comme des plaques pectorales dorées par les flammes. L’Achate n’était qu’un modeste soixante-quatre, mais dans cette lumière irréelle il donnait l’impression de remplir tout le port. Cette vue avait arraché aux hommes de Bolitho des cris de joie et quelques larmes.

Il les entendait autour de lui, occupés à rassembler les armes. Il se souvint de ce caporal fusilier envoyé par le capitaine Dewar pour lui confirmer que tous ses hommes étaient à terre et avaient pris position.

Tout cela aussi lui paraissait appartenir à un rêve : le caporal était toujours là comme s’il n’avait jamais bougé, impeccable dans son uniforme écarlate.

Il sourit en dépit de son inquiétude. En comparaison de cet homme, il se sentait comme un vagabond, la chemise sale, les cheveux pleins de poussière et de sable.

La forteresse était encore noyée dans l’obscurité, mais le sommet du volcan s’ornait d’une fine ligne gris clair.

Mountsteven lui tendit une flasque.

— J’ai placé un bon guetteur pour surveiller le bâtiment, amiral. Les fusiliers empêcheront toute tentative pour déplacer des pièces entre le fort et la ville.

Bolitho porta la flasque à ses lèvres et sentit ses yeux se remplir de larmes lorsque l’alcool lui brûla la langue. Tout ou presque dépendait de Rivers. Si on lui laissait du temps, il pouvait transférer son artillerie lourde vers un autre rempart et, d’un seul coup, réduire l’Achate en morceaux. Avec des boulets rouges, l’affaire pouvait se régler en quelques minutes.

On avait l’impression que l’île rechignait à se réveiller, à mettre en route une nouvelle journée. Il songea que Rivers n’avait sans doute guère fermé l’œil, quel que fût l’endroit où il se trouvait.

Il chercha des yeux un coq qui chantait orgueilleusement dans la fraîcheur du matin.

Le troisième lieutenant dévala la pente et lui annonça sans reprendre son souffle :

— Ils sont en train de bouger leur artillerie dans la forteresse, amiral. J’ai mis en place un piquet aussi près que j’ai pu.

Il emprunta la flasque de l’autre officier, la porta à ses lèvres et fit la grimace avant d’ajouter :

— Mais les portes sont toujours closes.

Bolitho acquiesça en essayant de démêler ces maigres renseignements. Rivers avait dû reprendre confiance à l’aube après le sentiment d’inquiétude qui l’avait envahi lorsqu’il avait appris le débarquement puis la destruction du barrage.

Il se leva lentement et s’essuya le visage d’un revers de manche. La situation était bien embrouillée. Que penseraient les gens en Angleterre de cette opération menée en pure perte, au cours de laquelle des hommes allaient mourir dans le seul but de laisser les Français ramasser toutes les dépouilles ? Il jura de dépit, mais il savait bien qu’il ne pensait qu’à lui, à tous les espoirs qu’il avait mis dans son avenir avec Belinda. Pas besoin de se demander pourquoi de jeunes officiers comme Mountsteven ou Scott le regardaient faire avec tant de perplexité. Il aurait dû s’en douter, il aurait dû se souvenir de ce qu’il était à leur âge. À cette époque-là, il ne se préoccupait absolument pas des états d’âme de ses supérieurs, de leurs épouses ou du fait qu’ils pussent bien éprouver autant d’inquiétudes que leurs subordonnés lorsque venait le moment du combat.

Il chassa toutes ces pensées moroses comme on se débarrasse d’un vieux manteau. Vivre sans Belinda était insupportable. Vivre dans le déshonneur était au-dessus de ses forces.

Il entendit une brève sommation du côté de la mer et reconnut la voix d’Allday, une voix rauque mais passablement irritée :

— Mais c’est moi, pauvre idiot ! Ferme-la ou je te jette, ça, je te le dis !

Puis il dévala la pente avant de s’arrêter, indécis, devant les trois officiers. Bolitho lui sourit :

— Vous avez fait des miracles. Bien joué !

Allday parut enfin comprendre que l’une de ces silhouettes mal attifées était Bolitho, et son visage s’illumina.

— Merci, amiral.

— Allday, on a cru que vous aviez percuté un canot de rade, fit Scott.

Allday se tourna vers lui avec l’air de se demander si un simple lieutenant de vaisseau méritait seulement de retenir son attention. Il se décida enfin :

— C’est ce qui nous est arrivé, monsieur – puis, se passant lentement la main sur la gorge : Mais y a pas eu d’mal.

Le tonnerre d’un coup de canon les prit tous par surprise. En blanches nuées, des oiseaux, les uns de la mer, les autres de la terre ferme, prirent leur envol avec force cris et piaillements et, tandis que les marins regardaient la fumée dériver lentement des remparts, ils entendirent tous le fracas inoubliable d’un coup atteignant le but.

Bolitho boucla son ceinturon en s’écriant :

— Ils ont repéré l’Achate.

Comme pour lui répondre, d’autres bruits se firent entendre du côté de la ville : des tirs de mousqueterie pour l’essentiel, ainsi que le claquement de sabots sur la route.

La milice de Rivers avait l’intention de les attaquer avant qu’ils eussent eu le temps de trouver leurs repères dans l’île, tandis que la batterie repositionnée se concentrait sur le vaisseau à l’ancre.

— Il va falloir que le commandant Keen fasse vite, nota Bolitho. Et nous devons lui permettre de gagner un peu de temps.

Regardant ce qui se passait autour de lui, il se rendit compte que la lumière naissante permettait de mieux distinguer les formes du paysage et les silhouettes des hommes rassemblés là.

Mountsteven lui demanda tranquillement :

— Et quelles sont vos intentions, amiral ?

— Un drapeau parlementaire.

Voyant son air étonné, Bolitho ajouta :

— Deux volontaires, je vous prie !

Il essaya de ne pas broncher au nouveau coup de canon qui éclata. Il n’entendit pas la chute du boulet, mais il n’allait pas s’écouler beaucoup de temps avant que les canonniers pussent voir parfaitement leur cible.

— Un volontaire, fit brièvement Allday, me v’là !

Bolitho sortit du couvert et s’avança vers le sentier qui montait en lacet à la forteresse. De l’esbroufe ? Il n’avait rien d’autre sous la main.

Bolitho s’engagea dans le sentier inégal, suivi d’Allday, qui soufflait bruyamment, et du quartier-maître bosco Christy. Lequel Christy arborait une chemise blanche frappée sur une gaffe en guise de drapeau blanc et sifflotait tranquillement en suivant son amiral. Il avait même réussi à commettre une blague en expliquant que la chemise appartenait à l’un des deux aspirants qui avaient débarqué. Ces jeunes gens étaient les seuls à avoir une chemise suffisamment propre pour ce qu’on voulait en faire, avait-il noté.

Bolitho se surprenait lui-même de sourire à pareilles plaisanteries.

— Halte ! C’est bon comme ça.

Bolitho se tenait immobile, face à la forteresse qui le dominait comme une falaise grise. Il entendit un raclement de métal et s’imagina aussitôt le tireur d’élite qui prenait tranquillement le temps de le coucher en joue, drapeau blanc ou pas. Il sentit sa vieille amertume l’envahir une fois de plus : mais qui s’en préoccuperait ? Des centaines, des milliers de marins et de soldats étaient morts de par le monde pour une cause ou pour une autre. Et qui savait encore pourquoi ?

Il mit ses mains en cornet :

— Je désire parler à Sir Humphrey Rivers.

Quelqu’un éclata de rire :

— Parler ? Vous ne voulez pas dire parlementer, plutôt, amiral ?

Bolitho mit les mains sur les hanches. Il avait raison, Rivers était là. Dans le cas contraire, ces inconnus postés sur les remparts y auraient fait allusion pour mieux se moquer de lui.

— Je vais te lui en foutre, moi, du parlementer, à ce salopard ! maugréa Allday.

— Ah, c’est vous, Bolitho ! Je croyais que j’avais quelques mendiants à mes portes, n’est-ce pas ?

Maintenant qu’il savait Rivers sur place, Bolitho réussit à se détendre un peu.

— Et, je vous prie, que puis-je faire pour vous avant de vous jeter dans mes geôles, vous et votre bande de ruffians ?

Bolitho sentait son cœur battre à se rompre contre ses côtes, comme si c’était le dernier organe qui lui restât en état de marche. Il faisait un peu plus clair. Sans cette tempête, toute la forteresse aurait été parfaitement visible.

Quelque part, loin derrière les murs, il entendit une voix qui criait :

— Paré à faire feu, monsieur !

Mais Rivers s’amusait comme un petit fou :

— Un instant, Tate. Je me dois d’entendre la requête de ce vaillant amiral.

— Ils ne peuvent pas tirer tant que Rivers est ici, souffla Bolitho. Le vaisseau est en plein dans la ligne de visée – et, haussant la voix : Je vous demande de suspendre le feu et de faire rompre vos hommes. Vous n’avez aucune chance de l’emporter et vos gens doivent savoir ce qu’ils risquent en s’en prenant à un vaisseau du roi.

Il imaginait les hommes à l’intérieur, faisant passer ce qu’il venait de déclarer. Cela dit, c’étaient tous des insulaires, et probablement un petit cran au-dessus de ce que pouvaient être des pirates en temps de guerre, même si l’appellation plus convenable de « corsaire » avait rendu leurs activités presque légales.

— Allez au diable, Bolitho ! lui répondit Rivers, furieux. Je vous ai laissé une chance, vous allez payer le prix de votre foutue arrogance !

Bolitho cligna des yeux : un rai de lumière perça les remparts du donjon et il aperçut la colline qui se trouvait par-derrière. Il entendit quelques-uns des marins dissimulés plus bas et comprit que le soleil éclairait désormais le deux-ponts à l’ancre.

Rivers hurlait à présent :

— Allez-y les gars, voilà votre cible ! Il faut que chaque boulet porte ! Ce commandant est encore plus stupide que son amiral !

Bolitho fit lentement demi-tour pour observer les maisons blanches de l’autre côté de l’eau et les navires entassés au mouillage. Impossible d’ignorer le concert de lazzis émis par les hommes de Rivers lorsqu’ils découvrirent ce qu’avait accompli Keen avec son équipage réduit dans l’obscurité la plus totale. Un long câble frappé entre un corps-mort et l’arrière de l’Achate l’immobilisait parfaitement, si bien que sa muraille était totalement exposée à la batterie de la forteresse. Keen avait transformé un objet animé en une batterie flottante double. Il faisait face d’un bord à la ville et de l’autre commandait tout le mouillage, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir. Pas besoin de se demander pourquoi leur plan avait totalement échappé à Rivers.

Rivers se mit à crier :

— Mes cavaliers arrivent et ils vont s’occuper de vous, Bolitho ! La disgrâce vous attend et l’ignominie dont vous serez couvert après cette escapade insensée dissuadera quiconque de s’attaquer encore à mon île !

Bolitho distinguait sa silhouette qui se découpait sur fond de ciel bleu. La haine qui transpirait de cet homme était presque tangible. Il aperçut une petite colonne de fumée qui montait paresseusement au-dessus des pierres grisâtres : ils faisaient rougir des boulets destinés à l’Achate. Le temps pressait.

— Sir Humphrey, cria-t-il à son tour, je vais rejoindre mes hommes…

Il sentit un nerf tressaillir dans sa gorge en entendant un brouhaha familier dans le lointain. Cette fois, il n’osa pas se retourner et quitter des yeux la grande silhouette de Rivers. Puis le bruit étouffé cessa brusquement.

Rivers s’écria :

— Et après, qu’est-ce que cela peut bien faire ? Pas un de ces canons n’est seulement capable d’égratigner la muraille !

Mais il avait l’air moins sûr de lui, comme si, de même que Bolitho, le grondement des pièces mises en batterie des deux bords sur l’Achate réveillait chez lui de vieux souvenirs.

— Avez-vous une lunette, sir Humphrey ?

Il était difficile de garder son calme lorsque chaque fibre de votre être vous poussait à foncer en avant pour enfoncer ces portes à mains nues.

Rivers avait d’ores et déjà pointé sa lunette sur le vaisseau immobile. Cette absence totale de vie de l’Achate était énervante en soi : toutes ses voiles étaient soigneusement ferlées, pas un chat à bord de cette coque noir et jaune vif. Bolitho reprit :

— Vous voyez un homme dans le croisillon du grand mât, un enseigne pour être exact. Lui aussi aura une lunette ce matin. Pointée sur votre demeure et vos propriétés.

— N’essayez pas de jouer la montre ! répondit Rivers.

— Et ensuite, sir Humphrey, ce sera le tour de la ville et il n’en restera pas pierre sur pierre.

Le rugissement fut terrible. Il venait du bord de l’Achate caché à la terre si bien que le tonnerre roula en échos multiples autour de la forteresse comme si c’était sa batterie qui avait ouvert le feu.

Bolitho se retourna pour observer l’épaisse fumée qui s’élevait du bâtiment et dérivait vers le rivage, à l’endroit même où, quelques instants plus tôt, les gens s’étaient massés pour assister à ce combat inégal.

À bord du vaisseau, les officiers de Keen devaient donner des ordres au cabestan afin de prendre un tour de mieux sur le grelin pour ajuster une autre cible.

Il aperçut une trace sur le tableau de l’Achate, là où le premier coup avait fait mouche. Mais c’était peu de chose à côté de ce qu’y laisserait un boulet rouge.

Une petite flamme flottait fièrement à la grand-vergue et s’agitait doucement au vent.

— La prochaine bordée est parée, fit Bolitho d’une voix égale. À vous de choisir.

Il entendit Christy qui murmurait derrière lui : « Crédieu ! »

— Amiral, voilà la cavalerie qui arrive, lui dit Allday.

Bolitho aperçut un groupe de cavaliers qui trottaient sur le chemin à la sortie de la ville. Ils semblaient hésiter, ces coups de canon avaient dû les surprendre. Mercenaires, planteurs, miliciens, cela n’avait guère d’importance. S’ils s’assuraient le contrôle de la route et capturaient le détachement de Bolitho, les choses seraient d’une tout autre gravité.

Il y eut une brève sonnerie de clairon, et Bolitho vit les fusiliers en tenue rouge sortir en file indienne des buissons au milieu desquels ils s’étaient dissimulés afin de se tenir prêts.

Il aperçut les éclairs de soleil sur les baïonnettes, il imaginait sans peine Dewar et son adjoint en train d’écouter le rapport des vétérans, parmi lesquels le sergent Saxton.

Les chevaux avaient pris le galop et leurs sabots soulevaient un véritable mur de poussière.

Des coups de mousquet partirent un peu en désordre et Bolitho sentit une main de fer lui serrer l’estomac lorsque trois petites silhouettes rouges s’effondrèrent en travers de la piste.

Les fusiliers semblaient prendre un temps infini. Les hommes du premier rang mirent genou en terre derrière leurs camarades morts, tandis que le second rang debout visait par-dessus leurs épaules. Les tirs reprirent. Cette fois, ce fut un jeune tambour qui s’écroula.

— Mon Dieu, fit Allday dans un souffle, mais pourquoi ne tirent-ils pas, qu’ils aillent au diable !

Le sabre de Dewar s’abaissa brusquement et les mousquets partirent à l’unisson, comme s’il n’y avait eu qu’un seul et unique coup de feu.

Hommes et chevaux culbutèrent dans la confusion la plus totale, mais lorsque la fumée se dissipa au flanc de la colline, les rangées rouges étaient toujours à leur place. Les cavaliers se replièrent vers la ville en laissant sur place leurs morts et leurs blessés.

— Les portes s’ouvrent, amiral, annonça Christy, la voix pleine de rage.

C’était fini. Par groupes de deux ou trois tout d’abord, puis en un flot serré, la garnison émergea en plein soleil, les hommes couraient en jetant leurs armes.

Rivers était le dernier et tanguait comme un ivrogne.

Mais il avait la voix fort assurée lorsqu’il se trouva en face de Bolitho :

— Vous me le paierez et je vous enverrai en enfer ! – il se tourna, l’air hagard, dans la direction des pentes luxuriantes qui dominaient la ville. Ma maison, ma famille, vous avez tiré dessus sans prendre soin de…

— Par votre ordre, coupa sèchement Bolitho, quelques-uns de mes hommes viennent de mourir – essayant de dominer sa colère : Et pour quoi faire ? Parce que vous n’êtes qu’un être cupide dévoré par l’ambition.

Il se détourna, craignant de ne pouvoir se maîtriser plus longtemps.

— Et n’ayez crainte, sir Humphrey. Alors que vous étiez prêt à mettre le feu à un vaisseau du roi et à assassiner tous mes marins jusqu’au dernier si nécessaire, le commandant Keen avait pris soin de charger ses canons à blanc. Vous avez été défait par de la fumée, rien de plus.

Cet instant aurait pu remplir Bolitho de bonheur, et pourtant il se sentait sur le point de vomir. Il se tourna vers Allday :

— Nous allons rentrer à bord. Les hommes de Dewar prendront les choses en main sur place.

Allday lui montra du doigt Rivers qui restait là, abattu :

— Et lui ?

— Assurez-vous qu’il est sous bonne garde, dans son propre intérêt.

Allday regarda deux marins s’emparer de Rivers et le conduire sans ménagement à la forteresse.

Bolitho ajouta, presque en se parlant à lui-même :

— Il est toujours facile au vainqueur de tirer vengeance – il donna une grande tape sur le bras de son homme de confiance. Mon domaine, c’est la mer.

Allday respira lentement. Cette fois, il s’en était fallu de peu. Il frissonna en dépit de la chaleur qui montait. Après cela, il préférait laisser la place aux jeunes.

Cette pensée le réconforta un tantinet et il pressa le pas. Les marins qui faisaient la haie sur le chemin étaient tout sourire lorsque Bolitho passa entre eux.

Bolitho savait, ou du moins devinait, ce qu’ils pensaient. Qu’il était aussi sale et mal peigné qu’eux, qu’il ne s’était pas éloigné d’eux alors que son coup de frime aurait pu si facilement mal tourner.

Mais il restait beaucoup à faire. Les fusiliers de Dewar devaient occuper la forteresse, il fallait trier les insulaires et les calmer, rédiger les dépêches, expliquer ce qui s’était passé.

Un peu plus loin, un cheval blessé hurlait dans son agonie. On eût dit une femme sous l’empire de la peur. Un coup de pistolet charitable le fit taire.

Bolitho s’arrêta près de l’endroit où Dewar avait fait face. Le petit tambour était allongé sur le dos, les yeux bleus et les traits figés dans la mort.

Allday crut entendre Bolitho murmurer :

— Il était trop jeune pour jouer à ce genre de jeu.

Il tira son mouchoir de sa poche et lui recouvrit le visage.

« L’un des nôtres. » Il avait l’impression d’une comédie, à avancer ainsi entre ces deux rangs de marins souriants qui hochaient la tête sur son passage, eux qui s’étaient tous attendus à mourir par cette belle matinée.

Je suis leur chef, ils me suivent.

Il se tourna vers l’Achate dont le pavillon flottait nonchalamment au mât de misaine. Un canot attendait parmi les rochers, paré à le reprendre pour le conduire à bord. Il sortit les épaules et continua en regardant droit devant lui.

Un enseigne se tenait dans la chambre, la coiffure à la main. Bientôt, ils allaient pousser des vivats. C’était eux les vainqueurs, cela leur suffisait. Et c’était bien ainsi.

Il hésita et se tourna vers Allday qui rayonnait.

— Eh bien, mon vieil Allday, que pensez-vous de tout cela ?

Allday fronça le sourcil, un peu désemparé de le trouver d’une humeur qu’il ne lui connaissait guère.

— Je crois que je le devine, continua Bolitho – il se tourna vers l’armement du canot et se força à sourire. Maintenant, nous allons nous occuper de ce foutu pirate.

L’enseigne leva son chapeau et les marins se mirent à crier de joie. Bolitho alla s’asseoir et contempla son pantalon déchiré.

« L’un des nôtres. »

 

Bolitho alla s’asseoir dans la chambre de jour et poussa un soupir lorsque Yovell présenta à sa signature une lettre de plus.

La peur, l’émotion que l’on éprouve au combat les avaient quittés, alors que cela faisait moins d’une semaine qu’ils avaient affronté Rivers devant la forteresse. Dieu soit loué, ils avaient eu peu de morts et on les avait enterrés à flanc de colline dans le cimetière du village.

Bolitho se leva et se dirigea nerveusement vers les fenêtres de poupe. Il se pencha sur les eaux calmes du mouillage. Le balcon était chaud sous ses paumes, le soleil brillait haut dans le ciel au-dessus du volcan.

Il vit le canot de l’Achate qui avançait lentement et comme à contrecœur. La lumière était aveuglante et il devinait facilement ce que les hommes, comme le reste de l’équipage, pouvaient penser.

Depuis que leur gouverneur avait été placé aux arrêts, les insulaires attendaient la suite des événements. Toute résistance avait cessé, de même que les actes hostiles. On avait recruté quelques membres de la milice pour assister les fusiliers de garde dans la forteresse et pour servir les canons. Les choses n’étaient pourtant pas aussi simples, ils devaient faire face à une espèce de résistance passive. Les habitants de la ville détournaient le regard lorsqu’ils croisaient un détachement de marins qui partaient en corvée ou lorsqu’ils voyaient un officier.

Au début, les marins en avaient été blessés et en avaient même conçu du ressentiment. Quelques-uns des leurs étaient morts, et peu nombreux étaient ceux qui comprenaient pourquoi. Ils pensaient donc qu’ils méritaient mieux que cela.

Il était midi, l’air était rempli d’odeurs de goudron chaud, d’effluves de rhum, c’était l’heure des rations pour tout le monde. Des coups de marteau rompaient encore de temps à autre le silence, mais la plupart des plaies qu’avait ouvertes le canon de la forteresse avaient été pansées. Un des marins avait pourtant laissé un œil dans l’affaire, un éclis de bois.

Quelqu’un frappa à la portière de toile et Keen entra, sa coiffure sous le bras. Il avait l’air plus détendu, songea Bolitho. Il devina que Keen avait dû traiter sa part de sollicitations diverses et de rapports : le chirurgien, le second, le commis, le maître pilote, tous étaient venus respectueusement voir leur commandant, ne fût-ce que pour se décharger de leurs fardeaux sur ses épaules.

— Vous m’avez fait demander, amiral ?

— Asseyez-vous donc, Val – Bolitho décolla sa chemise de sa peau pour la centième fois peut-être. Les travaux avancent ?

— Je maintiens les hommes au travail uniquement pour leur occuper l’esprit, amiral. L’Achate est paré, quoi qu’il advienne. Il est propre comme un sou neuf.

Bolitho fit un signe d’approbation. Il avait déjà noté la fierté nouvelle qu’éprouvait Keen pour son bâtiment. Peut-être l’exemple de son prédécesseur l’avait-il hanté comme il s’imposait aux officiers, par-delà la tombe.

Bolitho avait été témoin des frictions entre Keen et Quantock avant l’assaut. On avait maintenant du mal à croire que tout ceci eût pu se produire pour de bon. Mais le pavillon britannique flottait sur la forteresse et, à première vue, l’île était exactement comme auparavant.

Dans peu de temps, il lui faudrait envoyer une dépêche à l’amiral français, dont les vaisseaux attendaient à Boston. S’ils y étaient encore.

La paix pourrait alors revenir en ces lieux et la souffrance reprendre partout ailleurs.

Keen voyait bien que Bolitho était grave. Il commença :

— L’amiral qui commande à Antigua nous enverra de l’aide si vous le lui demandez, amiral – et, voyant Bolitho serrer les mâchoires : Mais vous avez certainement eu cette idée vous-même, ajouta-t-il.

— On m’a confié une mission, Val. Peut-être dois-je m’attendre à en tirer de la fierté. D’autres diraient que « vanité » est un mot plus approprié – il leva la main pour le faire taire. Nous en éprouvons tous plus ou moins. Mais ce qu’il me faut, ce sont des yeux et des oreilles, pas un amiral supplémentaire qui sera sans arrêt sur mon dos. Si l’Epervier était encore là…

Ils se regardèrent ; c’était comme si Duncan était toujours parmi eux.

— Une fois que nous aurons appareillé à la recherche de ce foutu vaisseau, fit Keen, l’île risque fort de se soulever. Les habitants pourraient affamer la garnison, alors que le contraire est impossible. Je crois que nous devrions réunir une cour martiale et pendre Sir Humphrey à la grand-vergue – il s’exprimait avec une amertume qu’on ne lui connaissait guère. Tant qu’il est vivant, il continue d’incarner une menace.

Ils se levèrent d’un seul mouvement : un coup de mousquet se répercutait en écho sur l’eau.

— Le canot de rade, ils ont dû remarquer quelque chose.

Keen ramassa sa coiffure :

— Je monte voir, amiral.

Bolitho prit une limette au râtelier et attendit que l’Achate voulût bien pivoter un peu au bout de son câble. La forteresse défila devant ses yeux, les hauts remparts étaient à moitié perdus dans la brume de chaleur, si bien que le pavillon semblait cloué directement dans le ciel. Il voyait nettement la pointe, l’îlot, la mission espagnole un peu plus loin. Puis il distingua un hunier sombre qui arrondissait la pointe avant de rejoindre le mouillage.

Le canot de rade, une des chaloupes de l’Achate, bouchonnait dans la houle, ses avirons sortis ressemblant à de grands os décharnés.

Un petit brigantin, sans doute un caboteur. Son patron allait avoir une surprise lorsqu’il apercevrait l’Achate au beau milieu du port.

Keen revint, le visage en sueur.

— J’ai donné l’ordre au canot de rade de mener ce brigantin à un corps-mort – il attendit que Bolitho se fût retourné, puis : On dirait qu’il s’est fait canonner, je vais faire chercher le chirurgien immédiatement.

— Canonner ?

— C’est tout ce que j’en sais, répondit Keen en haussant les épaules.

— Je vois. Parfait ; faites prévenir toutes les embarcations de l’île de rester au large. J’ai un mauvais pressentiment.

Il reprit sa lunette pour examiner le brigantin qui avait rentré son bâton de foc et qui prenait avec aisance son corps-mort.

Il balaya lentement la muraille. On voyait des marques noires sur la peinture. Mitraille ou boîte à balles. Des projectiles plus lourds auraient réduit en miettes ce frêle esquif. Il arrêta sa lunette sur deux silhouettes qui se tenaient près de la barre. Le premier était un homme de forte corpulence qui portait une vareuse bleue, et avait des cheveux grisonnants en désordre. L’autre…

— Bon sang, Val, s’exclama Bolitho, pas possible, c’est le jeune Adam ! S’il a pris des risques démesurés, je vais…

Mais ils éclatèrent de rire tous les deux.

— Il faut dire que je lui ai donné le bon exemple, pas vrai ?

Il fallut au canot ce qui leur parut une éternité pour aller du nouvel arrivant jusqu’à l’Achate.

Bolitho remit la lunette à sa place. Autant ne pas laisser voir à Adam à quel point il s’était inquiété et laissé aller à son instinct protecteur. De toute manière…

— Je vais monter sur le pont et, eh bien, je vais aller l’accueillir, fit Keen.

Et il ne put se retenir de sourire jusqu’aux oreilles quand il eut refermé derrière lui.

Adam entra à son tour, visiblement anxieux à l’idée de ce qui l’attendait.

— Je suis vraiment désolé, amiral…

Bolitho s’avança vers lui et le prit par les épaules.

— Vous êtes là, c’est la seule chose qui compte.

Adam balaya des yeux la chambre, comme s’il craignait ce qu’il risquait d’y voir.

— C’est le canot de rade, mon oncle. Les hommes m’ont fait le récit de la bataille, m’ont dit comment vous aviez fait pour vous emparer de cette place.

Il baissa les yeux, une boucle de cheveux noirs lui tomba sur le front.

— J’ai également appris ce qui était arrivé à l’Epervier. Je suis désolé.

Bolitho le mena à un siège et répondit d’une voix calme :

— Ne vous souciez pas de tout cela, racontez-moi plutôt votre histoire.

Le jeune officier se lança alors dans un récit étonnant. Quelques jours plus tôt, alors qu’ils venaient de subir une grosse tempête près du grand banc des Bahamas, ils avaient été arraisonnés par une frégate, un bâtiment espagnol. On leur avait intimé l’ordre de mettre en panne et de laisser embarquer une équipe de prise. Apparemment, le patron du brigantin se méfiait et, lorsque le canot envoyé par la frégate était arrivé le long du bord, il avait remis toute la toile dessus pour prendre la poudre d’escampette. Un vent favorable lui avait permis de se réfugier au milieu des récifs qui étaient trop dangereux pour que la frégate courût le risque de l’y suivre. Le détachement espagnol avait tout de même eu le temps d’ouvrir le feu avec ses pierriers et son unique pièce de chasse, grêlant de coups le bordé et leur tuant un matelot.

Bolitho l’écouta jusqu’au bout sans l’interrompre. On n’était jamais en sûreté ou, du moins, jamais totalement. Pendant qu’il se rongeait les sangs au sujet du sort de San Felipe, Adam avait dû faire face à une attaque inexplicable, risqué sa vie. Il finit par répondre :

— Ce patron m’a tout l’air d’être un homme plein d’audace. Et courageux avec ça. J’aimerais bien faire sa connaissance.

Adam l’écoutait, les yeux brillants. Il avait bien envie, ou plutôt il avait besoin, de parler de Robina à Bolitho mais, après ce qu’il avait vu et vécu au cours de sa traversée depuis Boston, il n’aurait pas voulu gâcher ce moment pour un empire.

— Je l’ai amené avec moi, il est à bord !

Bolitho le regarda, l’air interrogateur :

— Eh bien, faites-le entrer.

Le factionnaire écarta la portière de toile et s’effaça pour laisser passer le visiteur. Le fusilier se contenta de bouger les yeux sous sa visière de cuir en annonçant :

— Le patron du Vivace, amiral !

Et il accompagna son « amiral » d’un claquement sec de mousquet sur le pont.

Bolitho ouvrait la bouche pour parler, mais se tut, médusé. Cette vareuse bleue ravaudée avec de vieux boutons d’officier de marine cousus sur les manches, ce pilon de bois sortant d’une jambe de pantalon, comment ne pas reconnaître l’homme ?

Bolitho se précipita vers lui et lui serra chaleureusement les deux mains.

— Jethro Tyrrell ! Ça fait vingt ans, mon vieux. Et vous voici !

Tyrrell pencha un peu la tête, l’air légèrement narquois.

— Vice-amiral, à ce qu’on m’a dit – il secoua lentement la tête, ses cheveux gris un peu hirsutes retombant sur son col. J’aurais jamais cru que l’Amirauté puisse avoir autant de bon sens !

Il retira ses mains et commença à arpenter la grand-chambre, effleurant chaque objet, posant les yeux sur tout ce qu’il voyait.

Bolitho le regardait, toutes les images du passé lui revenant soudain comme des éclairs.

Cette petite corvette, l’Hirondelle, son premier commandement. Jethro Tyrrell, un officier américain qui était alors son second.

Quelle misère de le voir clopiner ainsi, avec ces habits déchirés. Tyrrell s’arrêta près de la veste de Bolitho jetée n’importe comment sur le dossier d’un siège. Il passa l’index sur une épaulette d’or et fit doucement :

— Comme vous dites. Vingt ans. Vous avez fait une belle carrière, Dick. Je suis vraiment fier de vous.

À lui seul, cet accent chantant de Virginie remuait déjà tant de souvenirs…

Tyrrell s’assit lentement, ajusta son vêtement.

— Il vaut mieux que je m’en aille. Je désirais juste vous voir, je ne voulais pas…

— Mais, s’exclama Bolitho, j’ai été votre commandant dans le temps, vous vous en souvenez ? Vous allez rester ici et tout me raconter. J’ai essayé de savoir ce que vous étiez devenu après la guerre…

Tyrrell regardait Ozzard qui s’activait avec des verres et des bouteilles.

— Lorsque j’ai accepté de prendre le jeune Adam à mon bord, je savais bien que j’allais vous revoir.

Ses yeux brillaient dans la pénombre.

— Ah, c’était le bon temps, pas vrai ? – il jeta un coup d’œil au jeune officier qui était suspendu à ses lèvres. C’était une vraie terreur, y a pas d’aut’mot. Faut dire qu’il était plus jeune que moi. Il s’est battu en duel pour une fille qui aurait bien aimé le voir mort et il a bien failli se faire les Grenouilles à lui tout seul !

Il souriait de toutes ses dents, et pourtant il y avait une tristesse infinie dans son regard.

— Et que faites-vous à présent ? lui demanda doucement Bolitho.

— Bah, je bricole. Je suis le patron du Vivace, mais il n’est pas à moi, manque de chance. J’fais pas mal de cabotage entre les îles. Les Espagnols et les vaisseaux du roi sont toujours après moi, ils croient que je fais également de la contrebande. Quelle blague ! Vous me voyez ?

La porte s’ouvrit sur Keen. Il avait l’air méfiant.

— Je vous présente Jethro Tyrrell, lui dit Bolitho en lui désignant l’homme grisonnant assis dans un fauteuil, mon second du temps de l’Hirondelle – il sourit à voir la tête de Keen. C’était pendant une autre guerre, Val, mais un sacré petit bateau.

Tyrrell se tortillait dans son siège, mal à son aise sous cette multitude de regards fixés sur lui.

— Mais peu importe, j’ai cru comprendre que vous aviez quelques soucis. Vous devez remettre San Felipe aux Grenouilles, exact ?

— Les nouvelles vont vite, fit sobrement Bolitho.

— Pas assez vite, répondit Tyrrell en faisant une moue. Vous feriez mieux de vous soucier des Espagnols. Ils ont l’intention de s’emparer de l’île… – il les regardait non sans quelque satisfaction – … et ils vont y arriver si vous ne faites pas très attention. Ils ont des yeux partout, ils ont même essayé d’intercepter le Vivace pour voir si je ne transportais pas des lettres ou des dépêches – et, montrant Adam du regard : Tudieu, s’ils l’avaient trouvé à bord, ils nous auraient tous massacrés, je ne me fais pas d’illusions.

Bolitho se pencha vers lui :

— C’est vrai, ce que vous me racontez là ? Pour les Espagnols ?

Tyrrell esquissa un sourire :

— J’ai besoin d’argent pour acheter Le Vivace. Il ne vaut pas grand-chose, mais ça me permettrait de prendre un nouveau départ – et, détournant les yeux : C’est comme vous avec ce vaisseau qui vous a coulé votre frégate.

Il semblait atteint, écœuré. Mais rien ne permettait de mettre en doute sa sincérité.

— Je vais vous aider, Jethro, lui répondit Bolitho. Je l’aurais fait de toute manière si j’avais su tout cela.

— J’ai ma fierté, Dick. Enfin, j’en avais. À présent, je suis désespéré. J’ai perdu ma famille, j’ai tout perdu. La seule chose qui me reste, c’est la mer et il me faut un bateau.

Bolitho fit le tour de son fauteuil et vint lui poser la main sur l’épaule.

— Vous l’aurez, faites-moi confiance.

— Alors, fit Tyrrell dans un grand soupir, je vous mènerai à cet espagnol.

Bolitho regarda Keen : il était trop étonné pour ouvrir la bouche.

Vingt ans… Mais ç’aurait tout aussi bien pu être hier.

 

Honneur aux braves
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